POUR UNE FIDELITE DE L’ETAT A SON PROPRE CONCEPT, L’INCONTOURNABLE APPORT DE L’OPPOSITION ET DE LA SOCIETE CIVILE

UNIVERSITE DU LAC TANGANYIKA-GIHUTU EMMANUEL

Personne n’a jamais vu l’Etat et pourtant il est sur les lèvres de tous comme de quelque chose dont on a à suffisance fait le tour. On lui adresse des critiques, on ne tarit pas d’idées contradictoires à son propos, sorte de délire parfois collectif venu se sédimenter dans les cœurs à la suite de l’expérience qu’on en eue. Tout se passe comme s’il avait réussi à se rendre concret à travers l’éventail des services rendus ou de la maltraitance administrée. Pourtant une chose est l’agir, une autre est l’être. Tant que c’est l’agir qui suit l’être et non l’inverse, n’est-ce pas faire fausse route que de dire ce qu’il est à partir de son seul faire ? Et si jamais par son faire il trahissait son être, plus clairement sa raison d’être. C’est effectivement le phénomène auquel on assiste : un adversaire angoissant que d’aucuns voudraient abattre ; parfois aussi un appareil dont on se sent, selon les régimes, fier. D’où pour un souci de fidélité de l’Etat à ce qu’il convient qu’il soit, nous voudrions, à travers cette réflexion désirée philosophique par les présentes assises, le repenser. Pour ce faire, je vous invite à ouvrir simplement les yeux pour observer ce qui se passe à la frontière de notre liberté. Il se pose bien qu’en s’opposant d’autres libertés au nombre infini qui se voudraient elles aussi sans frontière. C'est-à-dire faire tout ce qu’elles veulent, quand elles veulent et comme elles veulent ; prendre possession de tout ce qu’elles veulent, là où elles veulent, comme elles veulent. Toutes voulant les mêmes choses et surtout les choses que veulent aussi autrui, n’est-ce pas parti pour la guerre de tous contre tous ? Qui d’autre les libérera de cette liberté sauvage, de cette angoisse perpétuelle de la mort ou de l’insécurité à tout moment possible des biens et des personnes si ce n’est l’Etat, c’est-à-dire, « l’ensemble des services généraux de la nation »[1] ? La pluralité étant la loi du monde, ne faut-il pas que l’Etat pense normativité pour barrer la route aux dérives d’occupation égoïste de l’espace car du point de vue des hommes, être c’est être avec, c’est-à-dire dans la concorde. [1] LALANDE, Vocabulaire technique de la Philosophie, Etat, sens B En tout cas, pour Baruch Spinoza (1632-1677), philosophe des Temps Modernes, si l’Etat existe, ce n’est pas pour instaurer un climat de terreur et de crainte. Il est là pour que les hommes, dans leur âme comme dans leur corps, s’acquittent en sûreté de leurs fonctions. Pour cela, condition sine qua non oblige : qu’ils vivent dans la concorde et le respect des lois, se supportant sans malveillance les uns les autres. Entendez par là, « qu’ils vivent d’une vie proprement humaine, d’une vie qui ne se définit plus par la circulation du sang et l’accomplissement des autres fonctions communes à tous les autres animaux, mais principalement par la raison, la vertu de l’âme et la vie vraie »[1]. Aussi, si jamais séditions, guerres, mépris des lois se produisent dans un pays, Spinoza conseille de ne pas tant jeter le tort aux citoyens qu’à un vice du régime institué. « Cela provient de ce qu’il n’a pas assez pourvu à la concorde, que ses institutions ne sont pas assez prudentes »[2] et qu’il n’a pas, en conséquence, établi un bon droit commun pour le gouvernement civil. En clair, l’Etat c’est « l’instrument de la manifestation du droit »[3] contre quiconque tenterait de le violer, situation toujours prévisible aussi longtemps que l’homme est l’homme et non un Dieu. [1] B. SPINOZA, Traité politique in Œuvres, Paris, éd. Garnier-Flammarion, 1955, Tom4, p. 38. [2]Ibid., p.37. [3] Julien FREUND, Qu’est-ce que la politique ?, p. 129. A quoi bon d’ailleurs un pays où la paix n’est qu’un effet de l’inertie d’un peuple conduit comme un troupeau ? Comme dirait Emmanuel Kant, l’homme n’est pas né pour faire partie d’un troupeau comme un animal domestique mais d’une ruche comme les abeilles avec toute l’organisation qu’on leur reconnaît. Tout se passe comme si elles avaient l’intelligence des divers rôles à la faveur du tout et du tout à la faveur des parties. Moindre perturbation de logique, elles réagissent sans ménagement. Au fait, en écrivant, Spinoza se dressait contre les idées d’un Thomas Hobbes (1588-1679) pour qui l’Etat est un Léviathan, une puissance de neutralisation de toutes les forces susceptibles de nous barrer la route contre la jouissance de ce à quoi nous avons droit. Il se représente la Société comme un agrégat de ‘’Caens’’où chacun vit dans la crainte de chacun. « Aussi longtemps que les hommes vivent sans pouvoir commun qui les tienne en respect, ils sont dans une situation de guerre de chacun contre chacun »[1]. Une manière indirecte de signer que la violence est ce qu’il y a de très consubstantielle à notre vie sociale et que pour cette raison nous avons besoin d’Etat pour veiller à notre ordre et à notre cohésion. Serait-il alors là pour principalement opposer à notre violence toujours latente sa violence ? [1] T. HOBBES, Léviathan, chap. 18

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