LA DEMOCRATIE COMME PROBLEME ET COMME SOLUTION AU BURUNDI

UNIVERSITE DU LAC TANGANYIKA

Je ne travaille pas du tout dans le sens de bafouer la démocratie. On ne corrige pas la démocratie en la bafouant. Comme l’indique Aristote, on la corrige en appelant à plus de démocratie. Je voudrais donc faire remarquer que bien que le Burundi se dise démocratique, à la vérité, il n’est jamais entré en démocratie. On n’y entre pas par la porte de l’ethnie. Aucun pays du ‘’bon monde’’ n’a osé initier le système démocratique sans le préalable de son unité. Tous les pays comme l’Allemagne, l’Italie, les Etats-Unis, la France, l’Angleterre ont d’abord retrouvé leur unité avant de penser démocratie[1]. Il n’y a que nous, pays du tiers-monde, pour y entrer à l’envers ! La vision 2025 préconise d’aller à l’unité nationale par la démocratie. La démarche est originale, à nous de penser, en revanche, original pour nous en sortir. Nous rendre victorieux de la conscience ethnique qui, depuis les élections de 1993, départage les concurrents, organise le partage du pouvoir et même de simples postes. Autrementla bonne démocratie voulant dire égalité de tous devant la loi, comment parler d’une égalité devant la loi quand il n’y en a pas devant l’ethnie ? Comment parler d’un Chef d’Etat, quand un tel système ne met en place qu’un Représentant d’une ethnie, d’un Père de la Nation quand il n’existe plus de nation ? Celle-ci a été crucifiée par un montage délibéré et gratuit. Voilà un des rares pays que la Bonté de Dieu avait épargné de la peine de Babel. Nous ne nous distinguions « ni par la langue, ni par la culture, ni par une répartition territoriale, ni même le plus souvent par l’apparence physique »[1]. En un mot rien comme ethnie mais le colonisateur a tout fait pour les faire naître, les diviser, les séparer pour enfin les opposer. Pendant toute la période coloniale jusqu’à l’indépendance, l’école ethnologique aura pour charge de s’acharner à multiplier les stéréotypes et les préjugés ethniques[2], à les inculquer et à les remuer dans la conscience des écoliers pour qu’ils prennent vitalement formes. [1] Bernard AUPENS, Le monde diplomatique, Juin, 1972. [2] Nicolas MAYUGI, La mémoire vigilante et l’interethnique résistante pour une lutte rigoureuse contre le génocide, pp.11-48. « Les manuels d’histoire, de géographie et d’éducation civique de l’époque coloniale démontrent ce souci constant chez les missionnaires et les administrateurs de la colonisation de faire prendre et d’entretenir la conscience ethnique et clanique dans les écoles du Burundi et du Rwanda »[1]. On peut s’imaginer, quel degré de profondeur se trouve être le leur, dès l’instant qu’ils ont été non seulement implantés au niveau psychologique mais pire, conduits à se traduire en actes de crime contre l’humanité. Comme le dit ce poème de Joseph Lemaistre, « le cœur de l’homme est un vase profond si la première goutte que l’on y verse est impure, l’eau y passera sans laver la souillure car l’abîme est immense et la tâche est au fond ». [1] Augustin MARIRO, BURUNDI : de la nation aux ethnies ou la naissance d’une élite tribalisée, p. 50. On se serait attendu à ce que les Accords d’Arusha pour la paix et la réconciliation qui reconnaissent l’erreur commise fassent quelque chose pour la rectifier. Au contraire, ils en ont fait une base pour le partage du pouvoir et des rôles dans les forces de défense et de sécurité. N’est-ce pas une manière solennelle de les institutionnaliser ? Ils prennent pour argument ce qu’ils appellent encore une nécessité « d’assurer l’équilibre ethnique et de prévenir les actes de génocide et les coups d’Etat »[1]. Une manière indirecte de confesser que nous existons toujours en bandes opposées et mine dangereusement la démocratie dont nous gargarisons. [1] Chapitre II Les corps de défense et de sécurité, Art. 14, §1-g in Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi, 28 Août 2000, Nous devons retrouver la Nation. Problème ardu qui nous est posé au moment où indépendamment de cet accident historique malheureux, le pays est pour les Burundais une collectivité anonyme. « Ishengero ritagiramwo uwawe rikubera ishamba ». Il ne faut pas ignorer que nous sommes un peuple à solidarités fermées. Umuntu agirwa n’uwiwe. Autrement ni agati ka Waga kuma kakisenya. Il est comparable au petit arbre de WAGA qui se sèche puis qui se brise ! D’où l’on aura difficile de se sacrifier pour le pays. On a beau vouloir kuba umuvyeyi, le naturel revient au galop. Il brillera plutôt de zèle pour ses solidarités fermées. Quand ce n’est pas son ethnie, c’est plus pour son clan, sa région, les gens de son parti politique que pour tout le monde en tant que tel. Car, nous ont laissé les anciens, « ukugirira neza igihugu siko kugirirwa neza » kandi « umwana w’uwundi nawe yimba aguhisha ivu ». On comprendra donc pourquoi le premier souci de tout responsable, ici chez nous, à quelque niveau que ce soit n’est pas le service inconditionnel du peuple à charge de qui il se trouve, mais l’entente plus avec ses collaborateurs qu’avec le peuple. Pour les autres, qu’ils ne m’aiment pas pourvu qu’ils me craignent, mon Moi communautaire me suffit. Je l’ai construit à base et à l’aide de tout ce petit monde placé à ma solde. Aha rero ntihagire uwo dutera ibuye ni dans le passé ni dans le présent, ni ko twese tumeze, niko nkuko babivuga zatwubaguye ! Enfin si nous proposons une place respectueuse à l’opposition et à la société civile, c’est parce que nous croyons que pour avoir pris le chemin de la démocratie, nous désirons qu’habite chez nous ce qu’on appelle l’Etat de droit et souscrivons, subséquemment, au contrôle populaire.

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